côte à côte...le drame delampedusa et autres...par jean françois
Il y a l'odeur du sang qui flotte sur ses rives
Et des pays meurtris comme autant de plaies vives,
Des îles barbelées, des murs qui emprisonnent.
Il y a un bel été qui ne craint pas l'automne,
En Méditerranée.
Dans ce bassin, je jouais lorsque j'étais enfant.
J'avais les pieds dans l'eau. Je respirais le vent.
Mes compagnons de jeux sont devenus des hommes,
Les frères de ceux-là que le monde abandonne,
En Méditerranée.
Georges Moustaki
Côte à côte
Des côtes du Sénégal aux côtes de Syrie, chaque jour des femmes, des enfants, des hommes montent dans des embarcations de fortune ou de la dernière chance où ils laissent effectivement fortune et parfois la vie. Des pateras aux chaluts, dans l’odeur poisseuse de l’angoisse, du mazout, du poisson, ils se serrent silencieusement, côte à côte. Combien de leurs ancêtres ont été arrachés à leurs pays, transportés à fond de cale, vendus…Signe des temps, cynisme des sociétés civilisées, aujourd’hui, les esclaves modernes payent eux-mêmes leur traversée.
Combien de leurs aïeux invités à donner leurs vies pendant nos dernières guerres européennes sur notre sol, le long de nos frontières, au fond de nos tranchées ?
Autant de destins joués sur une destination.
Vingt mille noyés en vingt ans en Méditerranée. Au nom de quoi fuient-ils leurs côtes, au nom de quoi leur interdire les nôtres. Quelle théorie ou mesure de protectionnisme peut démontrer que les effets d’une migration acceptée et accueillie sont plus risqués que le fait de perdre la vie ?
Parmi eux, une jeune femme, enceinte, qui mettra au monde son enfant, comme elle peut, dans le fond d’une barque.
Au nom de quel danger faudra t’il qu’elle disparaisse sous les eaux, quelques heures plus tard, avec son nouveau né ?
Parmi eux, demain peut être l’un des jeunes que nous accompagnons sur un bout de son périple et qui partage insouciamment avec nous le jeu des vagues sur les plages d’Alger.
Au nom de quelle loi celui qui échappe à la mort dans son pays doit-il la trouver sur les côtes européennes ?
Parmi eux, celui sur qui compte sa famille pour survivre, comme certains de nos ancêtres l’ont fait.
Au nom de quelle logique, les biens et les richesses voyagent ils librement, lorsque les hommes en sont empêchés, surtout d’Est en Ouest et du Sud au Nord ?
Côte à côte, alignés, dans vos cercueils de bois, barques immobiles, pour une ultime traversée.
Dans la maladresse de l’émotion et de la honte vous a été accordée à titre posthume la nationalité du pays de votre mort. Quelques cent cinquante survivants du même naufrage seront, eux, poursuivis en justice pour entrée illégale et recel de vie sauvegardée.
Indiens d’aujourd’hui, faudra t’il désormais dire des migrants, qu’un bon migrant est un migrant mort ?
Dans l’adresse du calcul, on parle de renforcer les moyens des agences de protection de l’Europe, Frontex et Eurosur dont le devoir est de « surveiller », et l’on continue de condamner les bateaux de pêche qui se portent, bord à bord, au secours des survivants, au nom du « veiller sur ».
L’Europe a-t-elle oublié ses propres migrants fuyant les menaces de la guerre ou de la pauvreté économique ? A-t-elle oublié que le soutien américain et différents plans d’aide ont permis son redressement économique et sa participation au développement des échanges. N’a-t-elle pas saisie qu’il vaut mieux être partenaire qu’exploiteur ? Aurait-elle oublié sa redevabilité à défaut de sa générosité ?
L’Europe, prix Nobel de la Paix, ne mériterait elle pas plutôt d’être poursuivie pour crime contre l’humanité ? Car permettre la traite d’êtres humains, leur souffrance et leur mort au nom d’une logique sécuritaire préventive et non fondée s’apparente à ce qu’il faut bien appeler un crime.
Le taire ou détourner les yeux ferait de nous des complices.
Encore combien d’autres, côte à côte, alignés, dans vos cercueils de bois, barques immobiles, pour une ultime traversée…
JF Debargue, octobre 2013
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