Perles d'Afrique

Perles d'Afrique

Naître ailleurs

Madame S., Ivoirienne, arrive au centre vers midi. La poche des eaux s'est rompue la veille au soir. C'est sa seconde grossesse mais cette eau qui coule depuis plus de douze heures l'inquiète. Est-ce bien cela ou autre chose ? Dis-moi Laurence ? Pas de doute ! Il faut  aller à la maternité, pas ici ! Nous rions ensemble de ce qu'elle ait préféré venir nous voir nous, plutôt que de se rendre dans un milieu hospitalier parfois inhospitalier. L'avenir lui donnera un peu raison.

 

            Et puis, pas de contractions. Le bébé est descendu de façon impressionnante ! Il veut venir au monde, même si celui-ci ne lui est pas trop favorable ; Il cherche une terre où poser ses pieds et il n'a pas vraiment le choix. Il lui faudra naître ailleurs que sur la terre de ses ancêtres.

 

Angoisse de la maman devant la différence ; pas un travail ne ressemble à un autre. Pourtant elle se préoccupe des marmites que les déménageurs ont « oublié » de lui redonner…est-ce que nous pouvons la dépanner ? « Que feras-tu de marmites à la maternité ? » Plus tard, bien sur que nous allons chercher.

 

Cet enfant, nous, nous l'attendons depuis deux semaines ! Erreur de calcul ? Ou bien craint-il la rencontre avec sa grande sœur qui crie et gesticule autour du ventre de sa maman ? Deux ans et tout à découvrir de ce monde où chacun parle sa propre langue ! Où sa maman court pour trouver un peu de lait, des couches, un médicament, une couverture ; « se débrouille » pendant que son mari travaille dans le sud, sur des chantiers mal payés ! Et puis ces loyers qui augmentent quand l'homme s'absente. Les impayés s'accumulent et l'expulsion les poussent dans la rue enceinte ou pas ! Les pauvres ça ne badinent pas entre eux ! Les propriétaires n'ont déjà pas le droit de loger des sans papiers, alors en trouver un qui accepte de laisser un taudis pour le prix fort…pas de choix, faut accepter les conditions ! Et pas de droits…

 

            Elle part à l'Hôpital Mustapha, le plus proche, avec son mari revenu du sud pour être prés d'elle. Certains hommes nous étonnent ! Chapeau ! Normal ! C'est la pause, elle doit attendre 13h00 pour une première consultation. Des « urgences » pas si urgentistes…De plus, le corps médical est en grève depuis quelques semaines, osant braver les matraques policières….en vain ! Finalement, je la retrouve vers 14h30 errant dans les couloirs, avec son gros ventre prêt à naitre à autre chose, sans vraiment savoir où aller. Les Sages Femmes ont confirmé la naissance prochaine mais « son cas » ne relève pas de leur secteur. Elle doit aller à Belfort ! Pourquoi Belfort ? Nous ne saurons jamais. Ce petit hôpital de banlieue est à des lieux de chez elle ! En taxi, cela coûte le salaire d'une journée de manœuvre. Dans son état le bus est déconseillé sauf pour un accouchement dans un ailleurs peu confortable…

 

            Je l'accompagne au centre où la rejoint son mari parti avec la petite pour manger une pizza ou quelqu'autre chose du même genre : le quotidien de cette enfant de deux ans…ça coûte moins cher !? Ils partent ensemble chez eux, Belfort est à mi chemin. Ils reviendront quand les contractions se feront pressentes.

 

            18h, ils sont encore chez eux. Toujours pas de contractions. 21h, les premières « sérieuses » apparaissent. Elle est calme au téléphone. Elle me prévient simplement. Ce n'est que vers minuit qu'elle me rappelle : « Laurence ça y est, ça fait vraiment mal maintenant ! Nous partons, oh lala ! À bientôt... silence… ».1h30 nouveau coup de fil : « ils ne veulent pas me prendre ! Ils disent que je dois aller à Aïn Taya, pourtant j'ai la lettre de Mustapha pour les urgences…oh, j'ai mal…qu'est-ce que je fais ? Pas de taxi en pleine nuit et trop cher… » « Insiste, reste là, ils ne peuvent par rejeter une femme qui accouche !! » Et bien si ! 1h45, j'ai au bout du fil le papa affolé. Il me passe quelqu'un des urgences qui explique : plus de place, une urgence, au bloc, pas possible…Hélas je m'impatiente. Au lieu d'en faire un ami qui chercherait un taxi, je le renvoie, menaçante à sa responsabilité s'il arrivait quelque chose à la mère ou à l'enfant ! 2h, pas possible de sortir notre voiture, une autre bloque le portail. Je téléphone. Ils ont trouvé un taxi. Finalement les urgences les ont aidés en réveillant quelqu'un de leur connaissance. A quel prix ! Un portable !

            Alors plus de nouvelles.

            5h45- 7h30 – mes appels restent sans réponse.

            Enfin le papa répond « j'ai dû laisser le portable en gage au taxi. J'ai gardé la puce. Je ne sais rien. Je suis partie à 4h avec la petite. S. était à l'hôpital. » Ouf !

            7h45 nouvel appel. Elle va bien, le petit garçon est né. Le papa est incapable de donner plus de précision… Mais tout se serait bien passé.

 

            Petite femme noire parmi les blanches, S. a été vite remarquée. Pourtant impossible de la trouver dans les chambres. Des femmes partout dans la maternité. Comme pour des soldes, une ruée vers l'accouchement ! 14h, la salle d'attente est pleine elle aussi de femmes avec perfusion ou gros ventre. Un service débordé, dépassé. Les femmes du service retrouvent S. dans un boxe de travail où elle attend avec une autre, sur le même lit, depuis la naissance à 7h du matin. Une femme m'explique « beaucoup d'hôpitaux renvoient les femmes vers la périphérie d'Alger ; un déversement de femmes, prêtes à accoucher, vers Aïn Taya.

Là, finalement, elles sont acceptées dans des conditions limites ! Pas le temps de nettoyer les tables d'accouchements, drap pas changés, interminables attentes dans la douleur ; des délivrances que les femmes doivent assumer quasiment seules ! La sage femme arrive au dernier moment, quand la tête est déjà là. Pour S. se fut encore plus compliqué. Sa couleur et le renvoie de deux hôpitaux présage un problème ! « Qu'est-ce que vous avez pour qu'ils vous aient refoulée ? [Les hommes migrants sont refoulés dans le désert vers les frontières, leurs femmes sont refoulées de maternité en maternité…comme les femmes algériennes, mais, elles, c'est suspect !] Vous devez être malade, quelque chose qui ne va pas ? Vous boitez ? Vous êtes tombée ? » L'urgence est là. Plus de questions. L'enfant vient et déjà S. ne peut plus monter sur la table, pliée de douleur. Effort. Solitude. « Laurence, il n'y avait personne pour me tenir la main. Non, accoucher seule, c'est dur… » Le second plus douloureux que le premier passage. Le stress ? La tension  des heures passées ?

 

            Il est tout petit lui qui occupait tant d'espace ! Ce petit venu naitre ailleurs que dans son pays. Trois kilogrammes et déjà l'attention de tous ! Petites oreilles toutes noires comme la couleur de sa maman et au visage teint clair comme celui de son papa. Bien Ivoirien ! Lazare Junior Amar est né !

 

            Son Papa arrive. Comme il est fier de son fils ! Mimi du haut de ses deux ans se demande pourquoi maman a acheté une poupée que, elle, elle ne peut ni prendre ni jeter parterre…être vigilent. Pourtant à notre surprise et notre joie à tous, elle embrasse son petit frère avec douceur.

 

            Bienvenu petit dans ce monde ! Fais-en le tien ! Ton ailleurs !

 

 

 

                                                                    Laurence, 17 février 2010, Alger.



19/02/2010
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