Perles d'Afrique

Perles d'Afrique

11 septembre 2001

Nous étudions le Hassanya dans notre pays d’accueil, une république islamique. Pas de téléviseur, des radios qui redisent en boucle que des avions se sont écrasés sur NY. Pourquoi ? Comment ?

L’émotion que je perçois présente dans toute une partie du monde me saisit sans trop comprendre ni comment ni pourquoi. Un des étudiants de notre classe devait s’envoler aujourd’hui, prendre un vol Paris-Nouakchott. Il n’arrivera que quelques jours plus tard. Il nous parle du traumatisme de l'hémisphère nord.

 

J’essaie de me concentrer sur cette langue qui sonne comme une musique, dont les inflexions me sont familières. Un an d’Arabe classique plus tard, me voici plongée dans un dialecte qui s’en approche beaucoup.

La chaleur du désert qui nous entoure se rapproche peut-être de celle ressentie autour des deux tours dont il ne reste que des cendres et vingt ans plus tard, des souvenirs traumatisants.

 

J’aimerai voir ces images et ces films de l’accident si loin de nous. Ne pas rester en dehors de ce monde, celui d’où je viens. Ce ne sera que plusieurs années après que cela sera possible. Pour lors, je m’imprègne de nouvelles sonorités, d’une grammaire allégée vis-à-vis de celle, plus littéraire, apprise en Tunisie. Je me laisse aussi accueillir par les étrangers installés ici avant moi et déjà intégrant les dizaines de leçons plus en avance. Des visages deviendront familiers, venant d’Inde, du Sénégal, de Guinée ou de France.

 

Bien vite aussi des amitiés du pays me sauveront d’une peur qui jamais ne m’effleurera. Je ne suis pas en guerre contre ceux et celles qui ont piloté ces avions, ni de leur compatriotes, encore moins des musulmans du monde. Ici, ils me donnent part, en toute gratuité, à leurs traditions et à leur terre.

 

Je me délecte du thé à la menthe et du couscous local. Mes baskets foule le sable des dunes dorées. Je m’abrite à l’ombre d’acacias et de palmiers source d’une relative fraicheur.

 

Pendant quelques jours, ces deux tours que je n’ai pas vues s’effondrer, vont me hanter. Sans doute en raison d’une imagination trop invitée.

Et puis, je vais oublier, happée par le présent, l’action, les soins, les enfants de la rue et leur soucis principal, trouver à manger.

 

Je monte vers le nord-ouest, à la frontière marocaine.

Une presqu’île pour royaume, j’apprends mon métier d’infirmière grâce à la maitrise de la cheffe de service, congolaise, de la petite PMI du 5ème robinet, quartier de Nouadhibou.

Clin d’œil de la vie, le premier pays d’Afrique où j’ai vécu, le Zaïre-RDC, me retrouve ici !

 

Tout en accueillant des enfants de zéro à six mois, nous évertuant à les remettre debout, nous enseignons aux mamans les bienfaits de l’allaitement, les dangers d’un sevrage trop rapide, les bases de bouillies enrichies avec des mets locaux.

Le soir je rejoins une équipe d’animateurs qui encadre, héberge, et nourrit des enfants errant dans la rue. Une vingtaine de garçons turbulents et rieurs, une dizaine de filles insolentes et émouvantes, se rassemblent dans le foyer où nous essayons de leur redonner une ambiance familiale.

 

Ces mêmes enfants apprendront des acrobaties à l’école des clowns venus d’Europe. Ils seront, vêtus des habits traditionnels, draa, boubou et melehfa, applaudis par le Maire et le Wali de la ville lors d’un concert où ils forment les chœurs d’un chanteur québécois.

 

J’oublie.

Jusqu’à aujourd’hui, vingt ans plus tard, en France où je suis de retour depuis 5 ans.

Onze septembre 2021. Je vois dans leur intégrité les images des avions qui s’écrasent sur les deux tours.

Trop tard.

Les images que je garderai seront celles d’une république islamique où je fus heureuse.

Laurence



11/09/2021
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